Retour en Idiocratie
Bonjour à vous mes lecteur-trices,
J’espère que vous vous portez bien sous ce soleil indécent du mois de mai en septembre.
Sincèrement, j’espère de tout cœur que vous vous portez bien.
Personnellement, je dois dire que l’année 2019 a été violente et merdique, au point que je n’ai presque pas écrit une ligne et que je vous ai laissé patauger dans des articles vieux comme lorsque j’étais jeune, quand je n’avais pas encore quarante ans. (Je vais bientôt écrire un article sur la quarantaine, mais pas de tout de suite, parce que là, tout de suite, j’écris un hommage et je n’ai pas super envie de faire un hommage à mes quarante ans, peut-être que ça viendra, on verra.)
BREF (Bon, Revenons En au Fait).
Cette année, j’ai changé d’équipe à mon travail. (Oui parce que 2019 a été horrible et atroce - une année vraiment super beurk et méga re-beurk, une horreur ! - Excepté à mon travail.) Dans mon emploi, pour la toute première fois de ma vie, j’ai vécu une expérience transcendantale dans laquelle je me sentais bienvenue, à ma place, appréciée (presque aimée même ?) et c’était génial. Non, non, je veux dire c’était GENIAL. G.E.N.I.A.L. Vraiment, c’était : Motherfucking-awesome!
Mais mon équipe a changé. Il y a des nouveaux. C’est fini.
Terminé le paradis délicieux de l’humanité stimulante et bienfaisante. Re-Welcome dans le monde de la connerie ! Je ne vous ai jamais vraiment parlé de la connerie. La vraie pure, méchante connerie. La connerie qui vous brûle la peau comme de l’acide jusqu’à dévorer vos tripes. Je vous ai parlé des TOUS SEULS, je vous ai parlé des TOUT LE MONDE, je vous ai parlé des difficultés de communication entre les deux fonctionnements, je vous ai parlé d’amour, de travail, de moi (un peu, beaucoup, à la folie…) mais je vous ai rarement parlé de la connerie. Parce que la connerie me fait mal. Elle me fait physiquement mal. Certains mots sont comme des coups de tisonniers enfoncés dans mon ventre ou dans mon cou. Certaines phrases sont comme des milliers de petites piqûres de frelons qui vous recouvrent le corps jusqu’à vous faire exploser.
Quelques fois je rêve que les gens soient muets ou qu’ils parlent une langue que je ne pourrais jamais apprendre. Je communiquerais avec eux uniquement par des sourires, quelques gestes et c’est tout. Ils seraient là devant moi, ils raconteraient des conneries, les pires saloperies du monde et je ne comprendrais pas. Je ne comprendrais rien, ce serait IDYLLIQUE.
Je les regarderais simplement émettre des tas de petits sons marrants et dans le même temps, je contemplerais un paysage de coucher de soleil à tomber, sur l’horizon. Et peut-être qu’ils seraient en train de dire des trucs immondes sur les juifs ou les noirs ou les arabes, ou les homosexuels ou n’importe quelle minorité sur lesquelles les connards adorent se défouler et moi… Moi, ça ne me poserait aucun problème parce que je n’entendrais que des petits sons étranges et qu’il y aurait des petites libellules bleues et vertes qui voletteraient au-dessus d’une petite rivière toute mignonne devant ce magnifique coucher de soleil à tomber. Et ce serait bien.
La vie est faite de petits bonheurs imaginaires…
Mais revenons-en à mon hommage, un hommage bien mérité par mes acolytes, un hommage qui constituera aussi mon adieu à ce qui s’est rapproché le plus pour moi d’un doux cocon rose plein de paillettes.
Alors voilà ce qu’il s’est passé l’année dernière, je vous raconte. Tout d’abord et pour le bien de l’histoire, je me dois de préciser qu’il y avait quatre TSE (moi incluse) sur une équipe de neuf personnes. J’avoue que je n’avais jamais expérimenté un tel rapport de proportion. (Soit presque la moitié de TSE dans l’équipe - je le précise pour que vous constatiez par vous-même à quel point je suis douée en maths. - ) De mon expérience passée, je dirais qu'habituellement le ratio est plutôt de un TSE pour dix TLM voire, j'ai déjà connu : un TSE pour vingt TLM, dans le cadre d'un travail administratif plutôt classique. Il est bon de noter également que le travail que je fais est alimentaire, que les tâches sont simples et que le métier en lui-même représente un intérêt à peu près égal à zéro. Sur les cinq personnes composant le reste de l’équipe, je vais en éliminer une par principe, parce qu’elle était hors catégorie à tout niveau et qu’elle n’a pas eu beaucoup d’impact sur mon échelle du bonheur au travail. Il nous reste donc quatre TLM, mais quatre TLM qui ne sont pas des TLM basiques. (C’est très important cette notion que j’introduis ici et que j’ai eu la chance d’expérimenter ces derniers mois.) Je vous parle de TLM très intelligentes et très ouvertes d’esprits. Je parle donc de personnes capables de se remettre en question et d’accepter qu’on soit différent d’eux. Ce sont des qualités assez rares en réalité et je pense que mes nouveaux collègues se chargeront de me démontrer avec ferveur durant les prochains mois qu'ils n'appartiennent pas à la même catégorie. (YOUPIYOU !! Le travail c’est fantastique !)
Ce qui était extraordinaire dans cette équipe c’est qu’une majorité d’entre nous n’avait aucun goût pour les apéros à rallonge après le travail, aucun appétit particulier pour les conversations sur les soldes, la télé, les méchants immigrés, ce que j’ai mangé au déjeuner, aucune soif délirante pour les conflits en général et la médisance en particulier et surtout, afin de finir en douceur cette généreuse dégustation, aucun d’entre eux n’avait d’allergie à l’intelligence. (Pas la culture hein : L’intelligence ! La véritable intelligence qui sera définie aujourd’hui pour le bien de cet article, comme suit : « L’intelligence, ce n’est pas tout savoir sans se poser de question. C’est la capacité de remettre en question tout ce que vous pensez savoir. » (Et je ne sais pas qui a dit ça et là tout de suite, je n’ai pas le temps de chercher mais je remercie cette personne éclairée.)
Quand on est une femme, et qu’en plus on est lesbienne (si vous n’avez pas suivi mon coming out c'est dans la vidéo de Ketrichen) ce qui est donc mon cas, on ne sait jamais si on va tomber sur un-e personne qui déteste les homos (ou qui ne les trouve « pas très naturels quand même ») ou sur un-e machiste en puissance qui traitera la femme que nous sommes comme une petite chose insipide et sans cerveau et surtout comme un être humain qui doit rester à sa bonne place, soit : dans le silence et la soumission. Donc, au-delà même de la question de mon fonctionnement cognitif hors norme, je vis déjà cette putain de barrière de la minorité (que d’autres minorités vivent aussi, bien entendu).
C’est pourquoi je tiens tout d’abord à saluer mon collègue mâle, blanc, hétérosexuel, jedi à ses heures perdues et si engagé dans la défense de toutes les minorités LGBTI. Que c’était réconfortant quand j'arrivais le matin de savoir qu’il avait toujours une remarque féministe sur le bout de la langue, un trait d’humour décapant, un féroce goût de la justice sous un masque d’indifférence imperturbable et surtout qu’aucune question, jamais, ne lui faisait peur. Merci.
Une spéciale dédicace pour mon géant noir ébène, doux comme un agneau, bien plus sage que ses vingt ans à peine consommés ne voulaient nous le faire croire. Jamais je n’ai débarqué au travail plus ravie et enchantée d’entendre ses analyses financières (et Dieu sait que la finance m’ennuie) et la synthèse approfondie de ses lectures des médias internationaux. Plaisir et bonheur absolu d’analyser ensemble nos différentes origines ethniques et les conséquences psycho-sociales de nos couleurs de peaux et de notre genre. Merci.
Est-ce que je vous vends du rêve déjà un peu ou pas ?
Grand hommage à ma rousse flamboyante, qui ne supporte pas l’incohérence, qui a déjà largement compris combien l’humain peut être minable, qui kiffe la nature et les animaux et qui m’a fait éclater de rire de très nombreuses fois (miracle !). Un écrin de rire, de puissance volcanique, de bienveillance, de pétillance intellectuelle, juste de la pure fraîcheur. Merci.
Vous kiffez ou pas ?
Il m’en reste quatre. Quatre blondes en l’occurrence. Deux très bienveillantes et ouvertes d'esprit et deux autres prêtes à nous suivre tant qu'on riait fort. C'était suffisant.
Chaque jour, je les ai découverts, un à un, chacun différemment. Je n’ai jamais eu autant de plaisir à me rendre au travail parce que je savais que je n’avais pas besoin de jouer un rôle, que j’avais le droit d’être moi-même. C’était dingue ! C’était OUF ! C’était GENIAL!
C’est fini.
Aujourd’hui au travail, un de mes collègues a dit : « Cette fille est une petite salope. » Il parlait de la fille d’un des patrons qui a seize ans, à peine. Je lui ai fait remarquer qu’il parlait d’une enfant et il m’a dit que « Non, ce n’est plus une enfant étant donné la façon dont elle s’habille. »
Aujourd’hui, j’ai redécouvert l’univers de la connerie méchante et crasse. Je l’avais bien vu venir depuis quelques semaines et je savais qu’elle me rattraperait, mais ça pique quand même, ça pique fort.
Aujourd’hui j’ai repris dans la gueule combien les hommes peuvent être violents. Combien quelques fois ils ne se rendent pas compte et combien d’autres fois, ça les amuse d’être si violents, combien ils kiffent d’être des enfoirés.
Aujourd’hui, je me rappelle la douleur de travailler avec des cons. Je me souviens combien ça fait mal quand une femme qu’on apprécie beaucoup nous explique à nous et à d’autres collègues que les homos ne devraient pas pouvoir se marier. Alors qu’elle sait, elle sait qu’on est homo nous, elle le sait et on est juste là, devant elle. Mais ce n’est pas grave, ça ne la dérange pas toute cette violence verbale. Non. Alors qu’elle pourrait le dire, le dire juste quand on n’est pas là. Mais non. Je me souviens de ces discussions qui tournaient en rond, ces discussions qui duraient des heures sur la cuisson d’un bon rôti, les chaussures les moins chères sur vente-privé, les réfugiés syriens qu’il faudrait buter, l’essence trop chère, les vacances en Club avec les supers GO et les femmes qui s’habillent comme des putes et que même les autres filles trouvent que c’est des pétasses…
Et là, je suis déjà au-delà de mes limites. Je suis déjà au-delà de mes forces intellectuelles, je suis au-delà de toute possibilité de débat. Je ne vois que des pelles, des camions entiers de pelles toutes neuves dont je pourrais me servir pour les assommer un à un. Coup de pelle, coup de pelle, coup de pelle et coup de pelle à l’infini.
C’est fatiguant la connerie. La connerie c’est une des choses les plus violentes qui soit. Et puis c’est dangereux. La connerie ça tue des gens, ça les réduit en esclavage, ça les torture et c’est fier. Un con est toujours super fier d’être un con. Un con ne reculera devant rien pour écraser les autres et s’en vanter ensuite.
Moi quand je les entends, ça m’attaque et j’ai l’impression qu’on prend ma tête pour la fracasser contre un mur. Et je suis démunie. Je me sens complètement démunie parce qu’il va falloir que j’explique à quelqu’un de très con, quelque chose de tellement simple que je ne trouve pas les mots. Comment explique t-on à quelqu’un que le ciel est bleu ? C’est difficilement démontrable. C’est l’effet que ça me fait toutes ces choses évidentes que je dois mettre en mot, comme : "Les femmes sont les égales des hommes. Nous sommes tous des terriens avant d'appartenir à un pays et tous les êtres humains ont le droit à la sécurité de leur personne. Nous n’avons pas de droit de vie et de mort sur un autre être humain. Avant de juger, il faut prendre le temps de comprendre. L’écologie c’est important, il faut respecter la planète. On ne dit pas d’une jeune fille de 16 ans qu’elle est une salope. Vous vous habillez comme vous voulez et "non" ça veut dire "non"."
Je n’arrive pas à démontrer cela, cela revient pour moi à expliquer que le ciel est bleu et moi, la seule chose que je peux dire c’est : « Lève ta tête et regarde en l'air. Tu vois, le ciel est bleu. »
Prenez soin de vous, bien soin de vous.
Namasté.
Ketrichen